Behjat Sadr, à propos des œuvres cinétiques
vers 1967Texte extrait de l'ouvrage Behjat Sadr. Traces, Paris, Zamân Books, 2014.
Nul critique, nul écrivain ne saurait, parlant d’un tableau, lui faire dire plus que ce qu’il n’exprime lui-même. Pire encore, ces commentaires finissent par dérouter le public.
J’aimerais répondre à une question que l’on me pose souvent. Pourquoi avoir changé de style alors que, jusque-là, mon travail était extrêmement et largement apprécié ?
Chacun de nous a sa nature propre, à laquelle on ne peut rien changer. Certains demeurent fidèles à leurs croyances jusqu’au bout, tandis que d’autres restent en mouvement, en prise avec l’évolution de leur temps, une évolution qui, au xxe siècle, a été très rapide et dynamique. Moi, j’appartiens à cette seconde catégorie […]
Je ne reste pas en place et le mouvement est inhérent à la nature. La nature, c’est la couleur, la forme et le mouvement, et je tiens à ce que mes œuvres expriment ces trois éléments. La forme en tant que forme, la couleur en tant que couleur, le mouvement en tant que mouvement. Pas un arbre dont les branches feraient la forme, dont les feuilles représenteraient les couleurs et dont les formes et les couleurs seraient mises en mouvement par le vent. À présent, j’évite de présenter au public une œuvre fixe.
J’ai introduit la troisième dimension dans mes œuvres cinétiques. Au lieu de stores vénitiens, j’aurais pu utiliser des lignes verticales ou horizontales, mais la troisième dimension apportait un sens supplémentaire qui me correspondait bien. Je préfère ces volets tridimensionnels de couleur vive qu’une porte ancienne achetée un jour par hasard et dont j’aurais pu me servir dans mon travail pour introduire la troisième dimension. Récupérer les restes des morts pour danser avec eux, comme on le voit faire partout, cela ne m’intéresse pas. Ce que j’aime, c’est faire du neuf avec des matériaux d’aujourd’hui.
Ces œuvres représentent quelque chose qui me correspond aujourd’hui. À une époque, j’ai vécu avec mes anciennes œuvres. À présent, elles ne me satisfont plus. Une artiste doit peindre ce qui l’attire. À mes débuts, je travaillais avec des couleurs mélangées et contrastées. Par la suite, les couleurs ont disparu, et les traces et les rythmes les ont remplacées dans le mouvement. Aujourd’hui, je suis plus attirée par le mouvement optique et par celui que produisent les moteurs. Tout comme je ne supporte pas que mon travail symbolise la fixité, je suis incapable de rester figée pendant des années dans un style. Mon itinéraire personnel doit impérativement être traversé par le mouvement.
Il existe toutes sortes de façons d’exprimer un état intérieur et de produire un effet sur le public […] Cet état intérieur, un tel le représentera par un être humain en mouvement, et tel autre en juxtaposant deux lignes, une noire et une rouge.