Biographie
Behjat Sadr dans l’atelier de peinture de la faculté des beaux-arts de l’université de Téhéran
1954
Behjat Sadr dans son atelier, Téhéran
1961
1.Premier mois du calendrier musulman ; chez les chiites, le dixième jour est celui de la célébration du deuil d’Achoura qui commémore le martyre d’Imam Hussein.
2.Édifice religieux temporaire ou pérenne destiné à la célébration du deuil d’Achoura.
1924
Naissance de Behjat Sadr Mahallati le 29 mai 1924 à Arak (Iran), dans une famille nombreuse et recomposée ; fille et premier enfant de Ghamar Amini et Mohammad Sadr Mahallati. Son père est clerc et travaille pour le ministère de la Justice, il est amateur de poésie, de calligraphie et de musique. Sa mère est une femme ouverte et attentionnée. Son oncle paternel, Mohsen Sadr Mahallati (Sadr ol-Ashraf), fut ministre de la Justice et Premier ministre. Du fait du travail de son père, la petite fille et sa famille ont vécu dans différentes villes avant de s’installer à Téhéran. La famille se veut respectueuse des traditions : les cérémonies de Muharram1 sont célébrées dans un tekieh2 dressé chaque année dans leur cour. Behjat Sadr conservera toujours le souvenir de ces périodes où une foule immense fréquentait ces tekiehs et n’oubliera jamais les rencontres qui en découlaient entre les jeunes gens, hommes et femmes.
3.Ali Asghar Petgar fonda la première école de peinture privée pour femmes de Téhéran, en 1940.
1931-1947
Études primaires et secondaires à Téhéran. Son père décède prématurément en 1934 et la famille sera alors confrontée à des difficultés matérielles, qui s’aggraveront avec la Seconde Guerre mondiale. Ne voyant pas de talent en elle, un professeur la décourage de la peinture. Behjat apprend alors le travail de la soie. Elle choisit la voie de l’enseignement ; à l’issue de ses études, en 1943, elle devient professeur de collège tant pour être financièrement indépendante que pour aider sa famille. Elle commence à s’intéresser à la peinture, et en 1947 elle entre à l’atelier d’Ali Asghar Petgar3.
1948-1954
Étudie la peinture à la faculté des beaux-arts de l’université de Téhéran tout en continuant son travail d’enseignante au collège. Les sections architecture, design et arts plastiques se tenant dans les mêmes bâtiments, la jeune femme se confronte à un environnement interdisciplinaire et à des techniques diverses. À la faculté, elle fait la connaissance de Sadegh Hedayat, alors bibliothécaire à l’université de Téhéran, mais surtout de Sohrab Sepehri et Nasser Assar, eux aussi étudiants, avec qui elle constitue un groupe qui prolonge le programme académique par une expérimentation allant au-delà. En 1948 elle épouse Abolhassan Sadr, un lointain cousin écrivain, avant de le quitter cinq ans plus tard. Elle termine ses études avec mention et félicitations en 1954.
Behjat Sadr avec son époux Morteza Hananeh, Rome
Fin des années 1950
Fête de fin d’études, faculté des beaux-arts de l’université de Téhéran
1954
4. Giuseppe Sciortino, « Stranieri alla Biennale », La Fiera letteraria, 15 juillet 1956.
1955-1959
Grâce à une bourse du gouvernement italien, départ pour l’Italie en 1955 afin de continuer ses études artistiques. Elle étudie à l’Académie de Rome dans l’atelier de Roberto Melli puis continue à l’École des beaux-arts de Naples où elle suit l’enseignement d’Antonio Corpora et Armando Gentilini.
Dès le début de son séjour à Rome, elle lie durablement amitié avec Forough Farrokhzad, grande poète iranienne encore peu connue à l’époque et avec qui elle partage tout un univers de mots et d’images.
Obtient en 1956 le deuxième prix du concours de San Vito Romano et participe aussi à la Biennale de Venise. L’Iran n’a pas de pavillon à cette époque mais Marco Grigorian parvient à présenter les œuvres de quelques artistes iraniens au pavillon de l’Italie. L’œuvre présentée par Behjat Sadr, une nature morte, sera remarquée par Giuseppe Sciortino qui la qualifiera de « délicate et postimpressionniste4 ».
Obtient son diplôme de l’École des beaux-arts de Naples en novembre 1958. Dès sa première année en Italie, elle développe un style personnel, une abstraction non géométrique faite de jeux de taches et de traces de couleurs qu’elle présentera dans plusieurs expositions individuelles et collectives. C’est à cette époque que remonte sa décision d’abandonner la peinture de chevalet : « J’entrai dans une transe inconsciente à coup de pots de peinture et de raclette sur ma grande toile disposée au sol, le jour comme la nuit. »
En 1957, Roberto Melli l’introduit à la galerie Il Pincio qui expose ses œuvres. Certains critiques, intellectuels et historiens de l’art renommés, notamment Emilio Villa, Lionello Venturi, Giulio Carlo Argan et Pierre Guéguen, contribuent à son introduction sur la scène artistique romaine. Lionello Venturi, critique et professeur d’histoire de l’art moderne à l’université de Rome, la présente à la galerie La Bussola où elle exposera également. Elle épouse en 1958 le compositeur iranien Morteza Hananeh à Rome. Un mariage de grande passion qui ne durera que sept ans mais qui la marquera pour toujours. Plusieurs années après la mort de Morteza Hananeh survenue en 1989, elle écrira dans ses Notes : « Hananeh est mort et tout le monde est mort. »
Elle essaie de rester à Rome après la fin de ses études, mais sa bourse arrive à son terme. Obtient en septembre 1959 un poste de professeur à la faculté des beaux-arts de l’université de Téhéran et rentre en Iran.
1960
Pendant l’été 1960, nouveau séjour à Rome avant une installation définitive à Téhéran. La même année, une de ses peintures est choisie pour figurer en couverture de la revue Aujourd’hui (nº 27).
1961-1966
Développe une peinture plus gestuelle, avec des formes plus rigoureuses, sur grands formats, et participe à de nombreuses expositions internationales. Obtient en 1962 le prix impérial de la IIIe Biennale de Téhéran avec Hossein Zenderoudi. Parmi les membres du jury, figurent Giulio Carlo Argan, Frank Edgar, Jacques Laissaigne et Pierre Restany. Réalise une œuvre monumentale, en relief et en céramique, pour la façade de l’hôtel Hilton (90 m2). La même année, participe à la XXXIe Biennale de Venise, et l’année suivante à celle de São Paulo. Elle est l’invitée d’honneur de la IVe Biennale de Téhéran en 1964. Son unique enfant, Mitra, voit le jour en janvier1964.
1967-1968
Réalise une série d’œuvres optiques et cinétiques alors très critiquées et dont il reste malheureusement très peu d’exemples aujourd’hui. Certaines avaient des moteurs et produisaient des mouvements répétitifs en déclenchant des jeux de lumières ou en activant les stores électriques qu’elle appliquait sur les peintures. Obtient le prix de peinture de l’Unesco contre l’illettrisme, avec une œuvre intitulée Lumière de connaissance, dont le soleil rouge et minimaliste se dévoile derrière des stores imposants.
La mort brutale de Forough Farrokhzad, à la suite d’un accident de voiture, la plonge dans un long deuil. Elle la considérait comme la femme la plus vraie et dépourvue de tout artifice. En 1986, elle écrira dans ses Notes : « Une chose dont je suis fière dans ma vie est l’amitié avec Forough et l’estime que je lui portais. »
Séjourne à Paris dans le cadre d’une année sabbatique pendant laquelle elle travaille avec Gustave Singier à l’École des beaux-arts de Paris pour développer une méthode de pédagogie de l’art. Est témoin des émeutes de Mai 68 à Paris. Elle se souvient du jour où elle se trouvait au Select avec ses amis artistes Bahman Mohasses et Hossein Zenderoudi : elle ressentit une inquiétude soudaine et demanda à ses amis de quitter les lieux. Peu après leur départ, il y eut une explosion.
Behjat Sadr et sa fille Mitra, âgée de 3 mois
1964
1969-1979
Développe davantage l’aspect expérimental de son œuvre. Dirige le département d’arts plastiques à l’université de Téhéran. Son travail sera présenté dans le quatrième volume de l’ouvrage L’Art abstrait de Michel Seuphor et Michel Ragon (éditions Maeght, Paris, 1974).
Seconde année sabbatique à Paris en 1974-1975. Année fructueuse avec une forte production et un élargissement du champ de ses investigations plastiques. Les œuvres réalisées ultérieurement garderont les traces des expérimentations de cette période. Réalisation de peintures sur aluminium. Behjat vit et observe attentivement l’avènement de la révolution et les changements dans la société iranienne. La période 1974-1979 correspond sans doute à la période la plus riche et la plus aboutie de sa peinture. Après cette période, elle ne produit quasiment plus de peintures en grand format.
1980-1990
Prend sa retraite et part à Paris en 1980 pour y faire un bref séjour, qui marque cependant le début de graves problèmes de santé. Elle sera contrainte de rester à Paris pour se soigner et s’y installera définitivement tout en faisant des séjours réguliers en Iran. À partir de 1980, ne pouvant plus travailler sur des grands formats, elle continue malgré tout sa pratique en réalisant des photomontages et des « photos-peintures » dans de plus petits formats. Elle présente ses œuvres dans plusieurs expositions individuelles et collectives. L’époque des collages révélera également sa pratique de la photographie. En effet, à des fins de composition, elle découpe des fragments de ses propres photographies (vues de promenades en forêt ou sur les bords de la Seine, motifs naturels ou architecturaux) qu’elle combine avec différents éléments, y compris des traces de peinture.
Portrait de Behjat Sadr
Fin des années 1960
Behjat Sadr et son père (à droite)
1991-2003
Nouveaux ennuis de santé. Elle continue ses travaux sur des petits formats, mais se consacre de plus en plus à l’écriture, aux notes quotidiennes de ses pensées, de ses observations. Elle enregistre tout. Certains de ses cahiers comportent aussi des dessins. Plusieurs dizaines de cahiers écrits et dessinés de ces années ont été conservés. Présente un ensemble de ses travaux au Centre culturel Niâvaran à Téhéran en 1994 et dans une rétrospective à la Cité des Arts à Paris en 1999. Participe à plusieurs expositions collectives importantes.
2004
Le musée d’Art contemporain de Téhéran lui rend un hommage en présentant une très importante exposition rétrospective de ses œuvres dans le cadre de la série des expositions consacrées aux pionniers de l’art moderne en Iran. Un livre monographique documenté retraçant sa carrière sera publié à cette occasion.
2005-2009
Toujours des ennuis de santé. Profite malgré tout de chaque occasion pour dessiner et continue l’écriture dans un rythme soutenu. Participation à quelques expositions collectives.
2009
Le 10 août, Behjat disparaît à la suite d’un arrêt cardiaque survenu en Corse au cours d’un bain de mer. En été 1991 elle écrivait dans ses Notes (cahier nº36) : « J’aime la mer plus que la terre. Dans la terre on devient enterré. En mer on est immergé, comme on est immergé dans la joie, immergé dans la beauté, immergé dans le bonheur, immergé dans l’ivresse, immergé dans le travail. […] La terre a des montagnes, des collines, des crevasses et c’est la mer qui est sans fin et qui conduit le regard jusqu’à l’infini. »