Fragment de notes de Behjat Sadr
vers 1985Texte extrait de l'ouvrage Behjat Sadr. Traces, Paris, Zamân Books, 2014.
Quand je verse la couleur noire sur de grandes surfaces blanches ou scintillantes
Quand je couvre de couleurs les larges spatules, rasoirs et truelles et avec vigueur dessine par gestes horizontaux et verticaux
Et quand j’entends le bruit du labeur
Quand mes mains et mon corps s’échauffent et fatiguent à force de créer ces formes
Quand, dans ma petite pièce humide, l’odeur de la peinture me donne la nausée
Quand, depuis peu, par peur d’absorber de la peinture, je porte des gants et que je me sens suffoquer
Quand, doucement, tout doucement, les formes que j’ai créées commence à sécher
Je me calme. Ce calme, est-il dû à la fatigue ou à la futilité ?
Les surfaces composites que j’ai créées m’entourent
Des portails blancs ou une terre aride devant le portail
Je déplace les cartons et ramasse le cutter acéré
Plus loin, des photographies
Des centaines de photographies que j’ai prises sur des milliers de jours
Elle seront découpées et assemblées
Une ville lointaine et une rivière proche
Sur toutes les marges, les bordures disparaissent
Arbres, eau, air, tout passe par le fil de mon rasoir acéré
Quelle griserie, je me prends pour un chirurgien
Et ensuite elles seront assemblées à l’aide de mon cher rouleau d’adhésif
Une fois encore mon cutter acéré ouvre et ferme les surfaces élaborées
Perce des trous dans les murs et déplace des colonnes
Ces juxtapositions, ces assemblages, ces imbrications siègent dans mes portails, portes et fenêtres imaginaires
Parfois je peins l’espace ouvert devant les portes et les portails
Crayon, pastel, gamme de couleurs
Je ne joue pas à l’artiste
J’ai envie de jouer avec la matière, de jouer avec les techniques
Alors ça me rappelle les enfants qui se lassent de leurs jouets
Et, déçus, veulent les jeter ou les casser
Et je n’ose pas, ils occupent chaque espace de ma vie.