L’ailleurs qui vient de l’autre
par Pierre Restany, Paris, mars 1990Texte extrait de l'ouvrage Behjat Sadr. Traces, Paris, Zamân Books, 2014.

La vision de Behjat Sadr est intemporelle. Elle concerne la mémoire seconde d’une réalité devenue fantasme. Qu’elle ait recours ou non au collage photographique, la peinture de Behjat Sadr évoque les transparences infinies du souvenir. Souvenir d’enfance, de villégiature, de la vie quotidienne, de forts élans émotionnels.
Behjat Sadr a pour patrie le journal intime de son identité et de ses tribulations. Son œuvre exprime ce perpétuel va-et-vient nomadique de la pensée. Elle dialogue avec son pays comme son moi dialogue avec l’autre. L’Iran d’aujourd’hui est bien sûr l’Iran éternel. Et de cet éternel, à travers toutes les récentes lacérations, il reste quelque chose d’insaisissable et de très profond dans l’œuvre de Behjat Sadr. Mais avant toute chose, l’Iran d’aujourd’hui c’est l’autre. Celui qui n’est plus jamais exactement le même et qui ne pourra plus jamais être identique au souvenir de son identité. Alors, où, en quoi et comment Behjat Sadr se retrouve elle-même ? Dans cet espace existentiel de la feuille ou de la toile qui la fascine et la fait vivre, cet espace interstitiel de sa raison de vivre, peindre, toujours peindre jusqu’à récupérer en soi l’Ailleurs qui vient de l’Autre.